Le droit d’être pauvre

Publié le par gaspard-musabyimana

ibigori-imvaho2.jpgMe trouvant au Rwanda après une absence de plus d’un an, je me fixe comme objectif, entre autres, de comprendre comment la Vision 2020 est en train d’évoluer à mi parcours de sa réalisation. Un des objectifs de la Vision est de diminuer le pourcentage de la population vivant de l’agriculture passant de 90% à 50%. Les associations d’agriculteurs m’expliquent que, malheureusement, il n’y a pas de vraie stratégie pour accompagner ce processus et que, pire, la loi sur la régionalisation des cultures est en train d’empirer la condition des paysans et de créer une situation d’insécurité alimentaire grandissante.

 

Pour me faire comprendre cela, on m’explique que, tout d’abord, c’est plutôt à Kigali qu’on profite des revenus du secteur agricole. L’Etat décide d’implanter une usine pour l’exploitation d’une culture (riz, maïs ou pyrèthre) et, au même moment, oblige tous les agriculteurs à cultiver ce produit et à le vendre à l’usine qui a le pouvoir de fixer le prix sans que les agriculteurs puissent avoir aucun droit de négociation. En conséquence, puisqu’il a été décidé que des régions cultiveront la même culture pendant une certaine partie de l’année, les statistiques montreront une augmentation effective de la production de cette culture.  Malheureusement, dans le même temps, la surabondance de ce produit et dans la même période provoque des problèmes de stockage, de chute des prix sur le marché et entraîne une démonétarisation des paysans qui n’arrivent pas à gagner suffisamment pour assurer la survie de leurs familles.  Or, pour le moment, le mouvement des coopératives est encore embryonnaire et ne peut pas permettre les échanges de produits agricoles entre les régions, à cause notamment du manque d’infrastructures rurales. 


Pour y arriver, il faudrait d’un côté des mesures d’accompagnement qui aident les paysans à échanger leurs produits, et de l’autre, des stratégies et des centres de formation professionnels qui accompagnent le processus de sortie du secteur agricole pour s’insérer dans un autre secteur de travail.  Cela, pour l’instant du moins, ne semble pas exister.  L’objectif de réduire le nombre de personnes vivant de l’agriculture est en soi une bonne chose, mais cela suppose des moyens de leur donner des alternatives. Pour revenir aux statistiques, les paysans sont ceux qui possèdent un demi-are de terres.  Si on possède moins d’un are (suite à l’expropriation d’une partie ou de la totalité du terrain), on sort vite des statistiques en tant que paysan.  A la question de savoir ce que deviennent statistiquement ces personnes, on me répond: «Dans ce pays, on vit dans la pauvreté, mais au nom de la modernisation, celle-ci n’est pas reconnue. On n’est pas autorisé à être pauvre dans ce pays, mais on se demande si c’est cela la façon de réaliser la Vision 2020 ».


Le Mémorandum à la Présidence de l’Union Européenne (UE) que vient de publier EurAc arrive donc à point nommé. En effet, EurAc demande à l’UE d’aider le gouvernement rwandais à «placer, au cœur de la stratégie gouvernementale, l’appui aux agricultures familiales et à l’investissement en faveur des plus pauvres dans une optique de développement rural inclusif, partant d’une analyse approfondie des priorités et des besoins de la population». Ce serait la façon de reconnaitre le droit de la population à être pauvre, mais surtout, leur droit de sortir de la pauvreté.

 

Donatella Rostagno,
Policy Officer à EurAc

17/03/2011

 

 

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